Si l’on regarde l’ensemble de votre parcours, parallèlement à quelques classiques, la grande majorité de vos mises en scène s’attache à mettre en lumière des écritures contemporaines. […] Existe-t-il des différences entre la façon dont vous abordez un classique et la façon dont vous abordez un texte contemporain ?
C. S. : Non, je ne crois pas. Je pense que la meilleure façon de traiter un auteur contemporain est d’envisager son écriture comme faisant déjà partie du répertoire de l’humanité, c’est-à-dire, avec la rigueur et la tendresse que l’on accorde aux textes qui ont franchi le temps. Par ailleurs, je ne pense pas que la profondeur de la relation qui s’établit entre un auteur et un metteur en scène passe forcément par le fait que le premier soit présent aux répétitions, ou que tous deux se parlent beaucoup au téléphone, comme j’ai pu le faire, à certaines périodes de mon parcours, avec Edward Bond, Elfriede Jelinek ou Enzo Cormann. Aujourd’hui, il s’agit davantage pour moi d’une reconnaissance mutuelle qui s’inscrit dans le cadre d’un travail d’équipe : chacun étant alors à sa place, au mieux de son talent, de ses capacités.
En roue libre sera la création en France d’un texte de l’auteure britannique Penelope Skinner. Comment pourriez-vous présenter son écriture ?
C. S. : Ce qui me bouleverse dans l’écriture de Penelope Skinner, c’est qu’elle parvient, à partir d’une langue absolument quotidienne, de séquences extrêmement simples et concrètes, à faire surgir un univers grandiose, épique, un univers qui porte la marque des grandes aventures humaines d’aujourd’hui. C’est une écriture assez étrange à lire, car elle peut, si on n’y prend pas garde, facilement être assimilée à une écriture télévisuelle. Mais, dès qu’on s’y attarde, qu’on porte un vrai regard sur elle, il apparaît un niveau de construction, d’intelligence, d’humour qui balaye tous les préjugés. Une chose, d’ailleurs, ne trompe pas : lors du processus de création d’un spectacle, si une pièce n’est pas réellement profonde, au bout d’un certain temps, on se met à patiner, à faire du surplace. Or, je dois dire qu’en travaillant sur En roue libre avec les comédiens, nous sommes allés, de jour en jour, de plus en plus profondément dans les strates d’une matière théâtrale surprenante, extrêmement dense, polyphonique, politique, libre.
Comment Penelope Skinner réinvente-t-elle le féminisme dans En roue libre ?
C. S. : Sa pièce ne traite pas du tout du féminisme, elle traite des femmes, ce qui n’est pas la même chose. En roue libre, c’est l’aventure d’une jeune femme qui cherche désespérément à vivre, qui est traversée par une pulsion de vie tout à fait hors du commun. Un peu à l’instar de Nora dans Une maison de poupée d’Ibsen, Becky va réaliser, à l’occasion de sa première grossesse, une sorte de parcours initiatique. Ce parcours s’inscrit dans notre « aujourd’hui » : c’est-à-dire dans une société au sein de laquelle les femmes ont atteint un niveau de liberté généralement considéré comme important, alors que les fondamentaux féministes sont en réalité en pleine régression. Dans un voyage circulaire à 360°, elle réalisera qu’il est quasi impossible de cohabiter avec toutes les femmes qu’un seul corps peut abriter. « Il y a tant de femmes en moi, pourquoi pas une pour Lui… », dit Ysé dans Partage de midi, de Claudel.
Cette vision prend également en compte — et de façon assez crue — la question de la sexualité féminine…
C. S. : Oui, car notre époque renvoie la sexualité des femmes et celle des hommes pêle-mêle, exactement au même endroit : la performance. Or, ce parallèle est profondément pornographique. Malgré les apparences, la sexualité féminine reste aujourd’hui aussi honteuse et aussi décriée qu’elle a pu l’être par le passé. Penelope Skinner traite ce sujet avec un humour extrêmement mordant, un humour qui fait exploser tous ces clichés.
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat
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En roue libre à découvrir jusqu’au 1er février 2015
dans l’écrin intimiste du Théâtre des Ateliers !
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